Julie Baschet
Ses œuvres en vente
Rave et rêves... de Julie Baschet
2022
(d’après reproductions de dessins
de 2000 à 2022)
Format : 120 cm X 84 cm
Impression sur toile
Rave et rêves... de Julie Baschet
2022
(d’après reproductions de dessins
de 2000 à 2022)
Format : 15 cm X 21 cm
Tirage sur papier recyclé
Entretien avec Julie Bachet
Par Justine Delobel
Peux-tu nous expliquer brièvement ton parcours ?
J'ai toujours dessiné et il me semble qu'assez tôt je n'ai pas imaginé autre chose que cela pour ma vie d'adulte. J'ai donc passé un bac option art plastique. J'ai préparé mon entrée aux Arts Décoratifs de Paris (ENSAD) en faisant une mise à niveau dans une école d'arts appliqués (Oliviers de Serres ENSAAMA). Aux arts Déco, après avoir fait de la scénographie et un voyage en Inde où j'ai perdu ce qui me semblait être mes carnets les plus aboutis, j'ai passé finalement un diplôme d'illustration, cet accident me confirmant que le dessin était ce à quoi je tenais le plus. J'ai travaillé en tant qu'illustratrice pour la presse et pour l'édition jeunesse, j'ai notamment illustré une année d'actualité (Le Petit Monde de l'an 2000 – Ed. Du Rouergue) et réalisé avec une amie des Arts Décoratifs une série sur les difficultés que peuvent rencontrer les enfants au cours de leur vie ( La Vie comme elle est – Ed. Albin Michel). J'ai ensuite développé des travaux plus personnels. Après une rupture de plusieurs années avec la pratique artistique, j'ai travaillé dans une médiathèque où je me suis occupée entre autre de la communication visuelle avant de retrouver pleinement ma vie d'artiste.
Quelles sont tes inspirations ? Et qu’est-ce qui motive ta démarche ?
Mon activité la plus continue depuis mes études jusqu'à aujourd'hui est de dessiner et peindre sur des carnets, notamment des paysages. C'est pour moi à la fois un exercice de gamme tel un musicien qui s'entraîne et s'entretient, un moment de communion avec l'environnement, un geste écologique qui tente de valoriser notre art d'habiter la nature, le paysage étant l'expression de cette entente où la main de l'homme y est présente sans dénaturation profonde de l'environnement, avec même parfois la capacité à l'enrichir. Les pages de mes carnets sont autant de tentatives de saisissements de temps et d'espaces privilégiés dont la poésie me touche et qui risquent trop souvent de disparaître au profit du béton. Le paysage est comme une espèce en voie de disparition dont je tente de relever à mon humble niveau les traces. Ces dessins-peintures suggèrent de partager un instant suspendu, proche d'une méditation que je souhaiterais telle une invitation au ralentissement, à la pure présence de soi face au monde vivant (en grande partie non-humain), sans autre activité ou finalité que s'immerger. Comme le développe le philosophe Baptiste Morizot, l'industrialisation, la marchandisation voire l'instrumentation du vivant et nos modes de vie de plus en plus hors sol ont amené à faire perdre notre sensibilité vis à vis du vivant. Ainsi l'art du paysage revêt-il pour moi une valeur d'autant plus intéressante aujourd'hui qu'elle représente une proposition de reconnexion avec cette sensibilité. A l'heure où l'on demande souvent aux artistes de parler de notre société en attendant qu'ils se fassent le reflet de l'hyper urbanisation, de l'hyper technologie, de l'hyper individuation et ses quêtes identitaires, il me semble qu'aujourd'hui le sujet le plus moderne, le plus emblématique, le plus universel de notre humanité actuelle est celui de la crise écologique, et ce qu'elle demande de création en tout genre pour relever ce défi de changement profond. Dans cette même perspective j'aime aussi que ce soit des paysages proches de mon quotidien, non exotiques, cueillis là où je suis… du dessin local en quelque sorte.
L’œuvre que tu nous présentes ici nous propose un ensemble de paysages, que tu as nommée Rave et rêves … , peux tu nous expliquer cet intitulé ?
Le mot rave, que l'on retrouve dans chou rave ou betterave, signifie racine. Je me suis amusée à l'associer au mot rêve par jeu d'assonance mais aussi parce que cet ensemble de paysages forme l'image d'un lieu idéalisé, sublimé (comme peut l'être le rêve) où se trouvent mes racines existentielles et artistiques. Ce lieu représente celui de mon enfance et aussi celui où s'est forgé mon lien au paysage. Il se trouve que mon grand-père habitait juste à côté. Nos deux maisons avaient un jardin commun que mon grand père entretenait telle une réplique de celui de Monet situé un peu plus loin sur la Seine, à Giverny. Je suis donc quasi née dans un tableau impressionniste (c'est ce que j'évoque dans la vidéo faite pour l'expo JUMEL : https://www.youtube.com/watch?v=g1EmJU6mPuk ). Et ceci faisait écho au fait qu'il était rédacteur et directeur artistique au sein du Journal de l'Illustration (entreprise familiale où mon père travaillait aussi) : L'iconographie de la fin du dix-neuvième siècle et son art du paysage était très présente dans mon environnement premier. Ce jardin-source je le côtoie encore aujourd'hui puisque mon père y vit toujours. C'est un lieu "référence" qui au fur et à mesure du temps m'a montré comment il fut influent pour moi.
Cette reproduction témoigne d’une période de 20 ans de travail sur un même sujet : le jardin. Que représente t-il pour toi ? Pourquoi y demeures-tu attachée ?
Il se trouve que petite je sortais peu de ce jardin. On y vivait presqu'en autarcie, mes parents travaillaient à Paris la semaine, à un peu moins d'une heure en train et revenaient assez tard. En fin de semaine ils vivaient donc localement, entre jardinage et vie associative et sportive. Aussi nous bougions peu. Ce jardin, c'était le monde. Nous y passions tout notre temps libre. Ceci en plus de ce que j'ai évoqué précédemment de mon grand-père, a contribué à créer un lien particulier à ce lieu. Tout cela se vivait presque sans mot : cette ambiance avec ses références faisait partie du quotidien sans que personne n'en parle vraiment. Aussi je n'ai réalisé qu'au début de mes études d'art combien j'avais été baignée inconsciemment dans cette esthétique impressionniste. Ce fut étonnant d'avoir vécu les peintures de cette époque comme de l'intérieur. Etudiante j'ai aimé peindre dans ce cocon fondateur, d'autant que je partage cela avec ma sœur (aussi artiste, et aussi très sensible au paysage… bref une histoire de famille !). Par ailleurs quand j'ai fait la vidéo évoquée précédemment pour l'expo JUMEL où j'ai mêlé des photos de famille à des peintures faisant référence à ce type de jardin de bord de Seine, ce fut une confirmation surprenante de ce sentiment. La similitude fut pour moi étonnante lorsque par exemple je mis côte à côte une représentation de Paul Monet peint par son père dans une allée de fleurs et une photos de moi petite au milieu des deux jardins.
Tu travailles habituellement de petits formats en peinture mais ici tu proposes un tirage reproduisant un ensemble de peintures. Que vient apporter cette dimension numérique dans ton travail ?
Le numérique me permet de retravailler les images en les assemblant ou en les superposant. Il me permet de recomposer à partir de plusieurs petits paysages un panorama. Ça pourrait presque s'assimiler à un processus cubiste, mais au lieu de fragmenter directement sur la toile, j'invite les nombreux dessins épars à cohabiter a posteriori pour avoir une vision d'un même lieu à partir de plusieurs points de vue. Cela me permet aussi de chercher les combinaisons intéressantes qui se font aux frontières de chaque dessin et de voir comment un paysage se prolonge dans un autre pourtant élaboré dans un espace et un temps différent. De plus cette technique permet le collage tout en gommant les différents supports et donc en créant une unité entre toutes les peintures. Et puis j'aime les images imprimées. Cela provient peut-être du fait que mes familles maternelle comme paternelle sont éditeurs. Je me souviens petite, le plaisir que représentaient ces images lisses qui venaient jusqu'à nous par le biais d'un livre. On pouvait se les approprier, les manipuler, les regarder à l'envie et rêver en soulevant simplement une couverture de papier.
Qu’est-ce qui t’a interpellé dans la thématique Parcelle sensible ? Quel lien as-tu établi avec ton travail ?
Tout d'abord le thème du lieu qui pour moi rime avec paysage et celui du sensible, aspect pour moi essentiel aujourd'hui (portant une dimension presque politique), m'ont beaucoup parlés. D'autre part, votre démarche de porter des actions artistiques hors des grandes agglomérations me touche et je trouve que le paysage y a sa place. Il peut contribuer à revaloriser et réactualiser le non urbain, qui aujourd'hui s'avère vital. De plus cet appel à candidature m'a permis de concrétiser un désir amorcé au cours du projet JUMEL (instagram : soeursjumel – site : https://soeursjumel.tumblr.com/), que j'ai pu pousser plus loin grâce à Parcelle Sensible. Il s'agit de montage, collage, juxtaposition de plusieurs paysages, pour s'approcher de sensations subjectives, pour retranscrire les agencements ou combinaisons que construit le mental qui complexifie le regard. Quand je peins, je suis habitée par d'autres vues, d'autres notes, d'autres possibilités picturales qui peuplent l'esprit pendant l'élaboration d'un dessin. Pouvoir rapprocher les dessins les uns des autres c'est presque plus réaliste, plus proche d'un regard contemporain conscient de regarder au travers d'autres images ce qui est devant ses yeux. Quand j'ai lu la proposition, elle m'a parue convenir parfaitement à cette idée d'assemblage qui permet de se rapprocher de la sensation psychique et sensible d'un lieu. Ce que j'aime dans la confrontation des images c'est qu'elle en crée d'autres, que les frontières ouvrent de nouveaux tableaux, que chaque spectateur recompose et recadre. C'est une manière aussi de retranscrire l'inépuisable mouvement qui constitue le monde vivant. Un paysage bouge tout le temps même imperceptiblement. Le collage tente de retrouver cette mouvance en invitant à découvrir à chaque regard des parcelles non perçues auparavant.